Le roman est un caméléon. Et c’est sa gloire en tant que genre. […] Il peut soit tout inclure, soit laisser tout au-dehors. C’est Tolstoï et c’est Beckett. L’écriture du roman n’est soumise à aucune règle. Ceux qui croient que des règles existent sont des pédants et des poseurs, et ne méritent pas qu’on s’y attarde une seconde.
Siri Hustvedt, Vivre, penser, regarder, Actes Sud Essai, p. 64.
La lettre F renvoie à fiction…
Fiction vient de fingarere, verbe latin qui signifie manier, toucher, caresser, composer, feindre, faire semblant, se figurer, forger de toutes pièces, imaginer. Fictio, la forme latine de fiction, apparaît en 1223.
Le champ sémantique du terme fiction s’étend des choses concrètes, celles que l’on touche, que l’on modèle, que l’on manipule, aux choses moins palpables, tels que l’imaginaire et l’invention.
Aussi, fiction contient dans ses racines une part de faire (faber) et une part plus éthérée, liée au monde des idées. Cela donne une parcelle sémantique liée intimement à la création. La chose fabriquée, et qui dépasse l’instrument, l’utilitaire, atteint l’unité créative.
La fiction, si on la décompose, donne des clés fondatrices pour mieux comprendre de quoi elle est faite : le mot désigne autant le toucher que l’imaginé. Mais elle (se) figure : dans la figure, il y a la construction. Là réside l’une de ses forces.
Au sens contemporain, la fiction se résume à un produit de l’imagination. Ce qui importe, c’est d’ajouter qu’elle n’a pas de modèle complet dans la réalité. Elle existe, premièrement, ailleurs que dans la réalité.
Et, précisément, la réalité, ou appelons-la vie vécue, se contente des imperfections, des approximations et des manques. Mais la quête d’une forme moins imparfaite, moins approximative, moins lacunaire taraude chacun.e d’entre nous. Et c’est par l’œuvre de l’esprit capable d’imaginer que cette quête se trouvera, partiellement ou totalement, assouvie. Qu’on lise ou qu’on écrive, nous cherchons l’objet manquant à notre réalité.
Dès lors, on « fictionne » : la mise en place de nouvelles images, qui succèdent à / ou qui naissent dans ce qu’on a pu voir, sollicite notre capacité à inventer une langue étrangère. Propre à décrire, cette langue nous sort de l’impuissance dans laquelle nous nous trouvions, insatisfaits.
La faculté d’imaginer ce que l’on n’a pas vu à partir de ce que l’on a vu.
Henry James, The Art of Fiction.
Une nouvelle langue s’invite qui décortique l’imprécision et l’incertitude logés dans tout réel. À partir de cette opération, il y a fiction, et, pour ce qui nous concerne, écriture.
Créer une œuvre de fiction, c’est jouer, jouer avec le plus grand sérieux, sans doute, mais néanmoins jouer.
Siri Hustvedt, Vivre, penser, regarder, Actes Sud Essai, p. 64.